Judo Kata: point de vue

Avertissement au lecteur

Cet article est le fruit de ma réflexion personnelle sur le Nage No Kata (et les autres), fruit de 40 ans de pratique et d’enseignement de cet exercice. Il ne se rattache à aucun courant de pensée « judo », à aucune école ou fédération. Ma réflexion est donc totalement libre, et les idées que je vais exprimer dans les lignes qui vont suivre, n’engagent que moi.

Les Kata

En Judo, il existe plusieurs kata. Ceux-ci ont pour but de transmettre les principes du judo, voir du ju jutsu, puisqu’ils contiennent des techniques dont la pratique n’est pas autorisée en judo. Chaque kata illustre un principe, mais tous ont un dénominateur commun, le principe de non résistance à une agression. En cela, on peut affirmer, que tous les kata du kodokan (ce qui exclut le GO NO SEN NO KATA), sont en réalité des kata de ju jutsu. Cela sous-entend, qu’il n’existe aucun kata de judo, à proprement parler.
Le Nage No Kata, ne fait pas exception à cette règle. En effet, il s’agit bien d’un combat, dans lequel il y a un agresseur (UKE) et un agressé (TORI). L’agression peut ne pas paraître apparente, tant elle est subtile. Ce peut être une tentative de saisie, une amorce de déplacement, voir une réaction à une initiative de TORI. Il faut toutefois nuancer ce point de vue, notamment en ce qui concerne les deux dernières séries.

Le NAGE NO KATA

Nage No Kata, se traduit par forme ou principes de projection. Traditionnellement, une projection de judo comprend trois éléments : le kuzushi (préparation – déséquilibre), le tsukuri (placement du corps de TORI), le kake (projection). C’est pourquoi, on a coutume de penser que chaque phase du déplacement (qui en principe comporte 3 pas), correspond à l’une de ces phases.


Les premiers principes du Nage No Kata

La pratique du Nage No Kata, puis son enseignement durant de nombreuses années, m’amènent à considérer que le nage no kata comprend deux fondements indispensables :
• Une connaissance parfaite des brises chute (improprement et couramment appelées chutes). Sans cela, le nage no kata, pas plus que le judo, ne peuvent être pratiqués sans danger.
• Une maîtrise parfaite du principe de flexion-extension des jambes, sans lequel la projection en judo est impossible (selon l’idée que je me fais du judo).

Apprentissage du Nage no kata

Souvent, les élèves pensent à étudier le nage no kata, lorsqu’ils envisagent de se présenter à l’examen de la ceinture noire. Mais souvent, ils s’y prennent trop tard, trois ou quatre mois avant, quand ce n’est pas moins. Or, pour travailler sérieusement ce kata, il faudrait un an de travail, à raison d’une heure et demi par semaine. Il est évidemment très difficile d’exiger des élèves de faire cet effort, et cela pour plusieurs raisons. La principale de ces raisons, et que le nage no kata est présenté trop souvent, uniquement comme une composante d’un examen. Vu sous cet angle, cela « barbe » les élèves. Il faut donc, impérativement que les enseignants « professeurs ou assistants », présentent cet exercice, comme une des composantes normales du judo, à l’instar de l’étude technique, des uchi komi, et des randori. En effet, l’enseignement du judo comporte l’ensemble de ces exercices, qui sont complémentaires les uns des autres. Il s’agit donc, d’un tout global, auquel on ne peut se soustraire.

Le kata, pour qui et à quel âge ?

Personnellement, je suis convaincu, que le kata ou les kata, doivent commencer à être enseignés très tôt. Des élèves de 10 ans, débutants en judo, ceinture blanche, peuvent très bien aborder quelques techniques choisies en fonction de leur âge et de leurs possibilités physiques (les portés seront donc bannis à cet âge). Au début, on leur apprend le déplacement tsugi ashi. Cela, peut se faire durant l’échauffement, en début de cours. Je me contenterai d’un seul mouvement issu de la deuxième série à savoir, de Uki Goshi. Ce choix est motivé par le fait que ce mouvement fait partie du programme de ces enfants de et qu’il ne comporte pas de porté. A cet âge, je n’aborderai pas Haraî Goshi, car les techniques à un point d’appui, sont trop difficiles, pas plus que tsuri komi goshi, mouvement qui comporte un porté et suppose une bonne maîtrise de la flexion extension.
Par contre, je n’hésiterai pas, à aborder, le cérémonial. En effet, celui-ci comporte les fondements du salut et de l’ouverture avant l’exercice que ce soit pour la compétition ou pour tout exercice comme le kata.
Certains diront que c’est trop tôt. D’autre que c’est impossible pour une ceinture blanche. Et, c’est pourquoi, on y arrive si on se fixe des objectifs clairs. Il faut savoir rester modeste, il n’est pas question d’apprendre à une ceinture blanche les trois premières séries du nage no kata.

Pour enseigner, il faut pratiquer, et savoir juger !

L’enseignement des kata, et l’enseignement du judo en général, suppose de la pratique, pour plusieurs raisons :
• on ne peut enseigner que ce que l’on connait soi-même et ce que l’on peut faire physiquement. Ainsi, je peux à mon âge, enseigner les kata, car je les ai pratiqués jeune, tout au long de mon parcours de judoka. Par contre, je n’enseigne pas de ne waza, car je ne m’y sens pas à l’aise, en raison notamment de mes soucis physiques.
• J’ai pratiqué le nage no kata de manière assidue. Pendant une certaine période, je le faisais une ou deux fois par semaine avec un partenaire. De plus, je l’ai présenté pour mes examens du 1er au 3ème Dan inclus.
• Je peux l’enseigner parce que je sais le juger. J’ai été jury d’examen au 1er et 2ème Dan, en Seine Saint Denis de 1986 à 1990.

Le kata n’est pas du théâtre !

Les kata ne sont pas qu’une simple représentation d’une suite de techniques, mises dans un certain ordre, présentées d’une manière aseptisée, et enrobées dans un cérémonial.
Les kata sont vivants. Ils doivent refléter la personnalité des partenaires qui le démontrent. Il y a donc, hors une suite de techniques, une véritable immersion dans cet exercice, qui est unique en fonction des deux partenaires.
Lorsque j’ai commencé à apprendre les katas (nage no kata, katame no kata et kime no kata) c’était vers 1972. A l’époque, j’étais ceinture marron, et comme beaucoup d’autre, je souhaitais présenter l’examen de la ceinture noire. Je me rappelle que ce que mon professeur m’avait montré, je me contentais de l’imiter. Je n’avais alors qu’une image du nage no kata, et bien sûr je n’avais rien compris. Si je devais aujourd’hui montrer les trois premières séries du nage no kata, telles que je les avais apprises à l’époque, beaucoup, auraient un sourire condescendent. Mais nous apprenions ce que les « professeurs » de l’époque avaient eux-mêmes compris.
Bien heureusement, par la suite, j’ai eu la chance de travailler avec d’autres professeurs ou maîtres et ma compréhension du nage no kata a évoluée.
Cette évolution s’est traduite dans ma pratique car enfin le nage no kata n’était plus pour moi qu’une démonstration d’une copie. C’était devenu quelque chose de vivant, quelque chose qui évoluait à chaque fois que je le pratiquai. Je me suis aperçu dans cette recherche qu’il fallait des années, voir des décennies, pour comprendre certaines techniques.


La relation entre la pratique personnelle et l’enseignement.

En partant du constat précédent, à savoir la compréhension du nage no kata par l’enseignement reçu, et surtout par la pratique assidue, je peux tirer deux conclusions :

  1. les kata ne peuvent être enfermés dans un carcan, décidé par un quelconque organisme, fédération, écoles diverses…. Faire cela, c’est tuer les kata, car cela entraîne de fausses évolutions. Il faut arrêter de dogmatiser dans cette matière.
  2. les kata sont le reflet de la compréhension de l’élève qui les pratique. Aucune contrainte ne doit venir entraver sa recherche.
    Persuadé de ces vérités, mon enseignement des kata, se traduit en fait par un non enseignement. Je vais expliquer ce que je veux dire par là. Plutôt que d’enseigner, en imposant une forme particulière, je me contente de montrer les techniques. Ma manière de démontrer dépend pour l’essentiel de mon partenaire du moment. Car il est évident que chaque partenaire différent impose des choix d’exécution différents.
    Ainsi, par exemple je peux avoir un partenaire qui dans l’attaque de poing d’ippon seoi nage, va avancer très peu sa deuxième jambe, et a contrario un autre qui va l’avancer beaucoup. Je serai donc en fonction de ces différences obligé de modifier l’angle de ma projection. Et en aucun cas, cela ne peut être une faute technique.
    C’est donc pourquoi, il est à mon sens nécessaire de montrer les techniques, d’en expliquer les fondements. Mais il faut laisser aux deux partenaires qui constituent le couple, le plus de liberté possible dans l’exécution.
    Par ailleurs, l’enseignement doit être adapté à l’âge. On n’expliquera pas de la même manière au gamin de 10 ans et à l’adulte de 30 ans. On n’aura pas non plus les mêmes exigences.
    Il faudra aussi que la technique soit adaptée aux possibilités physiques de l’exécutant. Ainsi pour un judoka vieillissant, on pourrait très bien, dans la deuxième série du Kime No Kata, sur la saisie arrière, remplacer seoï otoshi par ippon séoï nage. A mon sens cela ne nuirait pas au sens de ce kata, dans la mesure où ce ne serait qu’une adaptation.
    Donc la démonstration d’un kata, doit être un mélange dosé de traditions et d’expression libre. Il n’est pas question de modifier le cérémonial, l’ordre des techniques et les principes généraux que sont le kuzushi, le tsukuri et le kake. Il est juste question, dans ce moule, de laisser les deux partenaires exprimer leur compréhension du judo.
    Il est évident que je ne pourrai accepter un uki otoshi sans sortie de la ligne du kata de la part de tori, à moins qu’il ne projette latéralement et non derrière lui, ce qui dans ce cas ne serait pas faux. Ce serait alors une interprétation de la technique que je pourrai accepter. Ce qui est réalisable doit être accepté.
    Personne en Judo, et notamment dans la pratique des kata, ne détient la vérité. Il n’y a pas un seul nage no kata, il y en a autant qu’il y a de pratiquants, soit quelques millions, voir une infinité.
    Donc, s’il est bien de donner un cadre, de faire des cassettes vidéo, des dvd, des stages, ce qui est loin d’être inutile, il faut bien se mettre dans la tête que le pratiquant X ne fera pas comme le pratiquant Y, qui lui-même ne fera pas comme le pratiquant Z. Aucun des jeunes que j’ai formé pour le nage no kata du 1er Dan n’a fait la même chose, et c’est tant mieux. Car, la pratique du kata, même si elle est enfermée dans un cérémonial, et dans un ordre précis, ne peut être la même pour tous.
    L’enseignant de kata ne peut pas être rigide. Il est juste là pour corriger des défauts, faire comprendre les grands principes, mais en aucun cas pour imposer sa vision personnelle et donc à plus forte raison la vision d’un organisme, d’une école….
    Comme je l’ai écrit précédemment, j’ai appris les katas avec d’humbles professeurs, mais j’ai également côtoyé les plus grands experts, dont Maître Haku Michigami Shi Han. J’ai pu constater que ce grand expert s’attachait plus à la compréhension, qu’à l’exécution de la technique. Pour lui réaliser une technique incomprise n’avait aucun intérêt. Dans un kata, il faut donc comprendre le pourquoi, pour réaliser le comment. Le 1er mouvement du juno kata en est l’illustration. Combien de judoka, le miment, sans l’avoir compris ?
    Donc, j’en viens à penser que l’on doit être tolérant dans l’exécution, mais que l’on doit être exigeant sur la compréhension (cela en fonction de l’âge et de la durée de pratique du judo, cela va sans dire) ! °.